Lécher de ses pieds le sol, le griffer de la pointe de sa chaussure et faire voler les poussières au dessus de nos têtes dans une danse extatique voir sensuelle. Mais ce n'était pas une danse au sens conventionnel qui se jouait sur le toit du lycée en ce moment, mais plutôt quelque chose de bâtard voir de saccadé et sec comme les mouvements qui se déroulaient lors d'un combat. Et dans cette volée, de longs cheveux violacés volaient et claquaient au gré des courants de vent, laissant passer le sombre visage sous une ombre colorée mais triste. Les poings se serrant lentement, tournés vers le ciel dans un geste dégagé ressemblant à une rotation, chacun des pas comme d'autres actions semblaient en ralenti avec le cours des événements, événements qui se jouaient plus bas dans la cours du lycée et où des élèves riaient et s'amusaient sur diverses activité. Leur coeur était empli de joie au contraire de celui de cette ombre mystérieuse qui volait sous la chaleur solaire de cet après-midi ensoleillé. C'était un coeur palpitant certes mais vide de tout sentiments purs et doux. Rien que le néant vivait en elle et en faisait une sorte de poupée articulée attachée par de longs fils invisibles, fils tenus par une quelconque entité céleste. Dans le vol de sa chevelure, on pouvait distinguer un grand tatouage, à moitié caché par sa brassière et laissant glisser une entité rougeoyante sur sa peau. Étrange couleur qui coulait sur son dos, horrifiante forme qui de son oeil torve observait ceux qui se trouvaient dos à la jeune femme, un oeil brillant comme son oeil qui n'était pas caché par son immense frange.

Là était Estelle, demi-japonaise au coeur brisé et à l'expression aussi figée qu'un masque Nô. Tout avait été perdu il y a bien longtemps, entre sa première fuite du lycée et celle où elle avait voyagé pour échapper à ses origines pour le moins douloureuses et aussi des tristesses où l'on vous avait délaissée une fois bien utilisée et détruite. C'est cette période là qui avait pour le moment déchiré en de milliers de morceaux son coeur ne palpitant plus pour ce qui l'identifiait : La musique. Elle la compositrice émérite n'était plus qu'une coquille vide gardant encore dans ce sac traînant sur la pierre les bribes de son passé. Feuilles de notes où de belles musiques tristes ou pleines d'espoir étaient écrites mais restaient enfermés dans un carnet, comme si l'on voulait les conserver encore pour se souvenir, mais ne jamais plus les toucher et y revenir. Dans la chaleur de cette journée alors qu'enfin l'heure de manger sonnait, Estelle s'arrêta dans sa volée, laissant une immense couche de poussière la couvrir, partant enfin vers son sac pour sortir son panier repas luisant sous la laque. Ses doigts se mirent à ouvrir la plaque, laissant apparaître de belles omelettes roulées entourées de sushis ainsi que de porc et d'anguille caramélisés. Le fumet flottait lentement autour d'elle car le repas avait été préparé dans la matinée, juste avant de venir en cours. C'était une de ses petites habitudes. Cuisiner et se battre. Maintenant qu'elle n'avait plus cette femme qui se disait sa "soeur" n'étant que profiteuse, elle pouvait revivre ces petits plaisirs sans compter.

Soudain, elle sentit une présence. Les baguettes en main et son oeil bleu se tournant vivement vers le point de mouvement, sa jambe vola, frôlant une mèche avant de partir sur un salto arrière et voler loin de cet intrus. Freinant de ses pieds et le regard empli de méfiance à l'intention de cette personne, la main droite posée au sol et les cheveux claquant au vent, elle dit les baguettes en bouche d'un ton grave :

"Je sais que le toit est à tout le monde, mais ça ne se fait pas de se mettre ainsi derrière les gens sans savoir de quoi ils sont capables."

Elle observa le jeune garçon aux cheveux blonds d'un air curieux, la tête légèrement penchée et laissant ainsi ses muscles luire sous la lumière solaire. Elle n'était pas dangereuse, mais depuis qu'elle avait été cassée, elle ne cherchait pas les contacts humains, le moins possible tout autant. Restant campée sur sa position, son oeil bleu se dirigeait vers le regard du jeune homme, oeil bleu empreint de tristesse et de méfiance comme les animaux sauvages que l'on avait enfermé en cage.

« Oh mon dieu » Voilà les « trois mots » comme dirait Phil dans Hercule en disant quatre ou cinq mots. C’était ce qui sortit de la tête de la jeune asociale quand elle entendit un vent courir jusqu’à ses oreilles, un vent parlant qui faisait autant de moulinets avec la langue qui faisait cette douce brise digne pour un Don Quichotte bien rodé dans ce monde contemporain. Qui aurait cru, surtout la jeune Mac-Leod, à cet instant T sur ce lieu L qu’elle verrait une tête blonde qu’elle connaissait tristement bien ? Oui elle avait envie de râler en ce moment, mais dans le fond ça la rendait joyeuse de le voir : Shiki Inukashi. Un doux souvenir d’une bataille de cartes où son côté stratégie avait fait briller ses yeux d’un feu perdu depuis un moment. Juste avec cette partie d’Elixir qui lui avait fait oublier sa matière point faible, les maths. Qu’est-ce qu’elle avait pu apprécier de se retrouver dans ce bien-être qui avait tant manqué à son cœur. Pourtant, elle restait bornée et butée sur son opinion première : Elle ne supportait plus du tout les hommes. Malheureusement, Shiki en faisait partie alors qu’il avait été chaleureux avec elle et avait attisé cette curiosité et cette créativité qui caractérisait la demi japonaise. D’un revers de la main, elle dégagea son épaule dans un voleté de doigts de tout cheveux qui maintenant se collaient sur sa peau couverte de transpiration et qui faisait luire sa peau mâte. Elle, la première élève des Fruits à s’inscrire sur les sports de combat brillait dans tout son caractère et ses muscles, mais pas forcément sur la section scientifique. Après tout chaque combattant avait son plus gros point faible. Observant toujours Shiki de son œil bleu de manière méfiante, elle se redressa de toute sa taille et remit ses habits en place ( http://media.animevice.com/uploads/0/72/93032-kanu_32.jpg ), tirant sur la brassière et son collier avant de sortir délicatement de sa bouche les baguettes et les pointer vers le jeune homme, restant toujours sans pitié malgré la lueur d’affection qui se lisait sur ses lèvres. Détaillant d’un tracé précis la forme générale du garçon issu de la même section qu’elle, elle dit d’un ton désespéré en entendant dans son esprit le surnom de grande asperge résonner :

« Bozo. Je suis karatéka et j’ai pas mal dû casser des figures pour m’en sortir en plus de faire grimpette sur des toits. Donc pour tout te dire, mes réflexes je risque de les garder longtemps que ce soit poli ou non c’est clair ? Et rigole pas avec la mort, je pourrai t’envoyer valser hors du toit si je le voulais, mais tu as de la chance, je tiens un peu à toi. »

Disant cela en secouant ses baguettes et un petit sourire en coin, la jeune fille portait pourtant dans son cœur ce « petit minus » comme elle l’avait surnommé à leur première rencontre. Mais elle n’était pas très expansive sur le volet je montre mes sentiments à cœur ouvert, ou plutôt elle ne l’était plus. Quelqu’un avait achevé de le lui enlever en lui faisant de fausses promesses, un homme auquel elle avait tant tenu qu’il ne s’était pourtant pas gêné pour la jeter. Le regard dans le vide, Estelle ne s’intéressait plus au petit blond face à elle et se perdait dans un passé noir et entaché de sang, rouge et sec comme celui qui se trouvait sur son dos. Elle se devait à son sens de garder ses distances avec les autres pour ne plus souffrir même si on lui tendait une main. Oui car au fond de son âme, elle était juste morte de trouille. Un petit vent la fit frissonner quand soudainement le ciel se fit plus gris et laissa des courants d’air beaucoup plus forts que précédemment s’installer. La petite radio près de son sac se mit à crépiter ce qui valut enfin une réaction de la demoiselle pour changer de station et avoir de la bonne musique. Ses doigts se tournèrent malgré elle sur son passé. Et c’est comme cela que son iris bleue devint aussi vitreuse qu’un verre bien poli en entendant cette chanson venant tout droit de son ancienne personnalité …

Spoiler:

Elle se sentait bête, vide mais un geste la fit redevenir celle qu’elle était, celle qui chantait en ce moment cette composition qui l’avait faite connaître alors qu’elle courrait dans les couloirs de la maison close où elle avait trouvé ses nouvelles sources d’inspiration. Prendre ses notes et regarder les paroles écrites d’une main vive comme la musique, ce papier entaché d’encre. Estelle n’avait pas tout à fait compris ce que lui disait Shiki et elle lui adressa un faible « Hm. » Seule réponse alors que son cœur battait fort que son corps semblait revivre un instant au milieu de tout ce vent puis la musique qui s’arrête avec la voix de l’animateur. De nouveau ce regard dur à moitié caché par les cheveux qui tombaient sur son visage fin et enfin un regard vers le basketteur alors qu’elle rangeait ses copies. Elle dit d’une voix monotone en montrant son panier repas :

« Je mange, ça ne se voit pas ? J’ai tout préparé ce matin au lieu de m’acheter comme un gars ici présent qui ne sait pas cuisiner, un pauvre sandwich où il n’y a pas un tiers des ingrédients qui te feront tenir la journée. Mais dis-moi ce que toi TU viens faire ici. Car depuis que j’ai investi le toit, même les couples ont une frousse bleue de venir. Je fais peur à tout le monde alors si tu ne veux pas que mon humeur noire déteigne sur toi, va te chercher une autre zone … S’il te plaît. »

Les trois mots de fin n’étaient pas voulus, enfin pas par la Estelle froide, mais plutôt par celle qui restait encore de son passé, cette fille au sourire chaleureux. Elle le suppliait de partir pour qu’elle ne le blesse pas. Car c’était dans ce seul endroit, sur ce toit, qu’elle pouvait cacher son cœur suant de noirceur.